Porter plainte
Il est important de savoir qu’actuellement il n’y a pas d’article de loi qui traite le harcèlement dans son ensemble et tel que nous le proposons. Il faut donc aborder le harcèlement de rue de manière détournée en mobilisant d’autres articles de loi.
En Suisse, les données concernant la prévalence des cas de harcèlement sont manquantes et il est probable que les chiffres existants ne reflètent pas l’ampleur du phénomène. Concernant le harcèlement sexuel par exemple, seul 10% des victimes portent plainte (Rapport du Conseil Fédéral). En rendant mieux compte des faits, il serait plus facile d’obtenir des mesures afin de se sentir plus en sécurité dans l’espace public. Porter plainte permet d’impacter les statistiques et favorise ainsi la visibilité de la problématique.
La peur des représailles est un motif courant pour ne pas porter plainte. Dans les faits, il faut savoir que cela n’arrive quasiment jamais. Parfois, c’est la difficulté de la démarche qui dissuade les victimes. Il est alors vivement conseillé de se faire accompagner par un.e.x proche pour aller porter plainte et de faire appel aux structures de soutien existantes.
© Wanda Palm
En pratique
Dans le droit suisse, il faut savoir qu’actuellement :
- On peut porter plainte pour : des insultes, de l’exhibition, des gestes à connotation sexuelle, avoir été suivi.e si de manière répétée, des attouchements sur les parties intimes (zone génitale, fesses, seins), des frottements.
- On ne peut pas porter plainte pour : des regards insistants ou déplacés, des sifflements, des paroles qui ne sont pas des injures ou des menaces.
Pour porter plainte, on peut se rendre spontanément dans un poste de police. Pour éviter d’attendre, il est possible de prendre rendez-vous par téléphone en amont.
La ville de Lausanne donne d’ailleurs des conseils et des informations pour le dépôt de plainte sur son site web.
Il est également possible de recourir à l’Unité Spéciale pour la prise en charge des victimes, notamment si on a des doutes sur l’infraction ou si on souhaite porter plainte dans un lieu neutre. On peut les contacter par e-mail aide.violences@lausanne.ch ou par téléphone au 021 315 37 38.
Pendant le dépôt de plaintes
- Il est conseillé d’avoir un récit le plus clair et le plus précis possible.
- Il est important de montrer qu’on est sûr.e.x de soi.
- L’assurance et la clarté permettent de renforcer la crédibilité du témoignage. En absence de preuves, elle est centrale dans une procédure judiciaire.
Dans une plainte, certains éléments doivent apparaître :
- Le lieu, la date et l’heure des faits
- Tous.tes.x les protagoniste.x.s : donner le maximum d’indications si l’identité n’est pas connue (exemple : couleur de cheveux, corpulence, taille, couleur de voiture, autres signes distinctifs tels que tatouages et piercings, etc.)
- Ce qu’il s’est passé chronologiquement
- Les preuves que l’on possède :
- Les photos ou vidéos
- Garder tout ce qui a pu être touché par l’auteur.rice.x.
- Conserver les vêtements que l’on porte au moment des faits
- Prendre des photos des blessures éventuelles
- Conserver tous les e-mails et messages reçus s’il y en a
- Pour les appels anonymes : noter la date et l’heure ainsi que le contenu des propos.
- Il y a des chances supplémentaires de retrouver l’agresseur.euse.x par les caméras de surveillance. A Lausanne, il y en a énormément: proches des bancomats, des boîtes de nuit, dans les transports publics. La durée de conservation des vidéos varie mais elle est en général très courte (parfois moins de 72h). Il faut aller porter plainte le plus rapidement possible pour y avoir accès.
- Il est important d’insister sur les modifications de comportement survenues suite au harcèlement subi (cela augmente les chances que l’infraction soit reconnue).
Ex. : « J’ai arrêté de prendre le bus 8 parce que je sais que la personne s’y trouve et je crains de la croiser ».
Avec la police
- Tous les agent.e.x.s n’ont pas la même expérience ou la même formation. Un.e.x policier.ère.x qui a l’habitude de prendre ces plaintes saura poser les bonnes questions, surtout si certaines infractions sont à la limite de ce qui est décrit dans les textes de lois. Le recours à l’Unité Spéciale pour la prise en charge des victimes permet de garantir la spécialisation des agent.e.x.s.
- Si on se sent intimidé.e.x ou mal à l’aise avec une déposition à la police ou si un.e.x policier.ère.x refuse de prendre notre plainte, il existe une alternative : celle-ci peut être rédigée par écrit et être directement envoyée au Ministère public.
Concernant le refus de plainte :
- La personne compétente est obligée de prendre la plainte et n’a pas le droit de refuser.
- Si un.e.x policier.e.x est réticent.e.x à prendre la plainte ou en décourage la victime, il est conseillé de retenir son identité (son numéro de matricule présent sur son uniforme) et de prendre contact avec l’Unité Spéciale pour la prise en charge des victimes qui pourra mieux répondre à la situation. Il est également possible de contacter le Ministère public par e-mail ou par téléphone afin de dénoncer le cas.
Avec le Ministère public
- Après avoir porté plainte, la police est chargée de rechercher et d’exploiter tous les éléments objectifs (témoignages, indices, traces, moyens techniques, etc.) pouvant mener à l’identification du/de la ou des auteur.trice.x.s et conclure par son/leur interpellation. Elle établit ensuite les documents nécessaires qui seront adressés au Ministère public.
- Après réception du dossier, le Ministère public doit requalifier les faits. Ce n’est donc pas le rôle des policier.e.x.s de définir ce qui répond ou non à certains articles de lois : iels doivent uniquement rapporter les faits au Ministère.
Bon à savoir
- Déposer une plainte est gratuit.
- On dispose d’un délai de 3 mois après l’infraction pour le faire (pour les infractions poursuivies d’office, le délai est plus long)
- La plainte est modifiable jusqu’à 3 mois après son dépôt.
- Lorsqu’on porte plainte contre une personne, nos coordonnées sont inscrites sur les documents officiels. Si on souhaite protéger certaines informations (comme notre adresse par exemple), on peut le mentionner au moment du dépôt de plainte. Seuls le nom et le prénom sont obligatoires.
La procédure
Le fonctionnement judiciaire suit une logique propre qui entre parfois en confrontation avec la réalité des victimes. Avoir une bonne connaissance du système judiciaire permet d’être mieux armé.e.x pour plaider sa cause durant la procédure.
Pour cela, il est important d’être bien conseillé.e.x, notamment à l’aide d’un.e.x avocat.e.x. Si on souhaite être plus à l’aise avec la thématique, il est possible de discuter avec des avocate.x.s en passant par l’association ALBA.
Si vos moyens ne vous le permettent pas, votre avocat.e.x peut demander une assistance judiciaire sans frais. Si vous gagnez le procès, l’agresseur.euse.x sera tenu.e.x de payer les frais.
Quels articles mobiliser dans le Code pénal ?
Lésions corporelles graves (art. 122 CP)
Cible les actes intentionnels qui mettent en danger la vie d’une personne ou qui atteint l’intégrité ou la santé physique ou mentale de manière grave ou permanente.
Lésions corporelles dites “simples” (art 123 CP)
Cible les atteintes à l’intégrité corporelle ou à la santé de manière de manière plus générale et avec un statut de gravité moindre. Exemple : griffures, gifle, …
Voies de fait (art. 126 CP)
Vise les situations de violence “légère” qui ne causent pas de lésion corporelle ou d’atteinte à la santé physique ou psychique. Exemple : Tirer les cheveux, cracher sur quelqu’un, …
Délits contre l’honneur et diffamation (art. 173 CP) et Injures (art. 177 CP)
Lors de propos déshonorants qui portent atteinte à la considération d’une personne. Exemples : propos sexistes, racistes, homophobes, injures diverses, …
Utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179 CP)
Cible le harcèlement via le téléphone.
Menaces (art. 180 CP)
Effrayer ou terroriser une personne avec des menaces graves. Exemples : menace de mort, avec un objet menaçant, menaces de lourdes conséquences, …
Contraintes (art. 181 CP)
Usage de la violence, de la menace ou de l’entrave pour obliger une personne à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte. Exemples : harceler une personne pour obtenir quelque chose, empêcher une personne de sortir d’un bus, …
Violation de domicile (art. 186 CP)
Pénétrer à l’intérieur d’un domicile ou franchir une clôture du terrain privé.
Contrainte sexuelle et viol (art. 189 et 190 CP)
Utiliser la menace, la violence, les pressions psychologiques pour contraindre une personne à un acte d’ordre sexuel. Les situations sous cet article sont poursuivies d’office même sans dépôt de plainte.
Contravention contre l’intégrité sexuelle, désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 CP)
Être exposé.e.x de manière inattendue à un acte d’ordre sexuel ou être importuné.e.x par des attouchements d’ordre sexuel ou par des paroles grossières. Exemples : attouchements non consenties, frottements dans les transports publics, …
Quelles chances de succès?
Malgré un sentiment d’impunité, la procédure judiciaire peut aboutir à une condamnation et ce, même lorsqu’il n’y a pas eu de témoin. En effet, l’évaluation de la crédibilité des partis est centrale dans ce cas-là et elle peut pencher en faveur de la victime. Ne pas correspondre aux conditions pénales et le retrait de la plainte sont les raisons les plus fréquentes qui expliquent le classement des procédures.
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Les conséquences positives en entamant une procédure :
- obtenir justice et réparation
- être reconnu.e.x comme victime suite à une expérience marquante et/ou traumatisante
- participer au recensement de cas de harcèlement de rue effectué par les autorités pour mieux refléter la réalité des faits.
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Les conséquences négatives :
- entamer de longues démarches, qui peuvent engendrer des frais et sans garantie d’obtenir gain de cause
- coût d’énergie important pour finalement risquer de faire face à un acquittement de l’agresseur.euse.x, souvent par manque de preuves ou de témoins.